Jean-Charles Trouabal : entre sport de haut niveau et désir de transmission
Entretien avec Jean-Charles Trouabal
Multiple champion de France du 200m et du 100m, double champion d’Europe et recordman du monde au 4 x 100m avec l’équipe de France, Jean-Charles Trouabal a vécu mille vies en tant qu’athlète de haut niveau, et se consacre aujourd’hui au métier de conférencier en entreprise pour impulser chez les autres un désir de dépassement.
Internet regorge d’infos sur tes performances sportives, mais on en sait un peu moins sur ce qui t’as amené au plus haut niveau. Comment as-tu découvert l’athlétisme, et pourquoi le sprint ?
J’ai toujours adoré le sport, et j’ai d’abord commencé par les sports collectifs à l’école. J’ai pratiqué le foot pendant quelques années puis vers l’âge de 10 ou 11 ans, j’ai découvert le basket, qui est rapidement devenu une véritable passion ! Jusqu’à mes 19 ans, je l’ai pratiqué avec engouement avec toujours la même joie de retrouver mes coéquipiers à chaque entraînement ! L’athlétisme est arrivé un peu plus tard. La piste ne m’attirait pas spécialement, mais quand mon père a refusé que j’intègre un cursus sport étude en basket, je me suis retrouvé limité et frustré par des ambitions inatteignables. À cette époque, je savais que je courais vite. L'athlétisme est alors devenu alors un moyen d’atteindre le toit du monde !
Ton père met fin à ton rêve de basket au niveau professionnel. Tu décides alors de changer de discipline, ton rêve n’était-il pas d’atteindre le haut niveau tout simplement, qu’importe la discipline ?
Peut-être, oui… Peut-être que si je ne pouvais pas atteindre le top, tout ça perdait un peu de sens… Je pense que je perdais la perspective d’exprimer tout mon potentiel et de donner le meilleur de moi-même. Je ressentais une forme de frustration, une perte de sens en étant freiné dans mon ascension, et j’avais certainement besoin de garder en ligne de mire un cap ambitieux pour me réaliser pleinement.
J’ai donc commencé l’athlétisme juste après le lycée, et j’ai pu avoir la liberté de m’entraîner comme je le souhaitais, sans pression de la part de mon père puisque je recommençais tout à partir de zéro. J’ai alors pu retrouver le plaisir de repousser mes limites et d’aller les explorer !
Après le lycée, quelles études as-tu suivies ?
Je me suis dirigé vers des études de STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives). Je n’aspirais pas à devenir enseignant mais, dans les années 1990, peu d’options se présentaient aux sportifs, STAPS s’est donc imposé naturellement. Cela me permettait de m’entraîner, d’avoir de la disponibilité et de performer à côté en athlétisme !
En 1987, j’entre à l’Insep, passant de 4 entraînements par semaine à 10 ou 12 ! Cela fait une sacrée différence sur la préparation et je mets alors de côté mes études pour me consacrer aux Jeux Olympiques de Séoul en 1988. L’année suivante, j’obtiens le CAPEPS (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Education Physique et Sportive) mais je n’ai pas le temps de commencer à enseigner puisque je suis détaché à l’Insep à plein temps, l’éducation nationale devenant en quelque sorte mon premier sponsor !
Ensuite, 4 ans après l’obtention du CAPEPS, je décide de continuer à apprendre et obtiens un Master en Administration des Entreprises. Je souhaitais m’ouvrir à d’autres univers, comprendre le monde de l’entreprise et ses clefs pour pouvoir envisager la suite sans me fermer de portes.
Pourquoi t’être finalement dirigé vers la préparation physique dans le football ?
J’ai enseigné durant deux années en tant que professeur dans la filaire STAPS après ma carrière de spinteur, mais il me manquait quelque chose, une énergie, l’adrénaline du dépassement de soi pour aller chercher le meilleur de moi-même. Il me manquait l’énergie qui galvanise dans une compétition, l’esprit d’équipe aussi… J’avais envie de renouer à la fois avec le collectif et le sport de haut niveau. Je m’intéresse alors à la préparation physique et je suis approché par l’Olympique de Marseille, au sein de laquelle je reste un peu plus d’un an, puis j’ai une deuxième expérience avec l’équipe de Besiktas Istanbul jusqu’en 2007. Je retrouve alors cette ambiance collective qui m’avait tant manquée et que j’avais connue avec le basket d’abord, puis avec le relais et l’équipe de France en athlétisme !
Multiple champion de France du 200m et du 100m, double champion d’Europe et recordman du monde au 4 x 100m avec l’équipe de France, quel est ton souvenir le plus marquant en tant que sportif de haut niveau et sprinteur ?
Sans hésitation le record du monde ! Ce record m’a profondément touché sur le plan individuel mais il a eu un impact énorme chez les autres également ! Je me souviens de l’émotion partagée dans le stade avec toute l’équipe, mais également des réactions à notre retour en France. C’était extraordinaire de vivre ça ! Aujourd’hui encore, les gens se souviennent de ce record. Finalement, la discipline en elle-même n’est pas mon souvenir le plus marquant, je pense que c’est vraiment l’émotion procurée. C’est aussi pour cette raison que nous aimons le sport, pour partager des émotions fortes. C’est ce qui donne du sens à notre pratique et qui nous pousse à nous dépasser. Une sorte d’intensité folle !
Penses-tu que le patriotisme soit une dimension inhérente au statut d’athlète de haut niveau ?
Non pas forcément, mais on ne porte pas le maillot de l’équipe de France simplement pour soi, il a du sens. Quand on le porte, on ressent quelque chose de plus grand que soi. Il faut avoir conscience qu’on ne représente pas que soi-même, et alors on peut aller chercher des ressources encore plus loin ! Ce que l’on donne représente quelque chose pour le spectateur et les gens en perçoivent l’énergie et l’émotion, et c’est ce qui nous pousse dans notre discipline !
Est-ce qu’il y a, alors, une forme de pression à faire pour les autres et pas seulement pour soi ?
Oui en quelque sorte. On se sent un peu investi d’une mission ! Mais cette pression passe par la fierté et nourrit l’engagement que l’on met dans notre sport. L’honneur de porter le maillot et d’être un ambassadeur de son pays engendre une pression que l’on accepte pour se réaliser pleinement.
Tu es aujourd’hui devenu conférencier sportif pour les entreprises, à partir de quand as-tu décidé de t’y consacrer pleinement, et pourquoi ?
Après mon dernier contrat en tant que préparateur sportif dans le football en 2007, je souhaitais me diriger vers quelque chose de nouveau et m’ouvrir au développement du potentiel humain. Je voulais élargir cette dimension au-delà du physique et je me forme donc au coaching d’entreprise à HEC (Hautes Etudes Commerciales) pour sortir du sport. En cela, mes études en Administration des Entreprises m’ont aidées à comprendre l’entreprise justement. À l’époque je ne savais pas où cela me mènerait, mais j’ai pu emmagasiner quelques connaissances utiles !
Quel est l’aspect de ton métier que tu préfères aujourd’hui ? Est-ce la transmission d’un état d’esprit, l’impulsion donnée ?
C’est tout ça à la fois. J’aime faire prendre conscience que pour réussir, quelle que soit l’activité, il faut travailler, s’engager, etc, mais que tout cela peut être plaisant ! Mon but est de créer les conditions pour que l’aventure soit belle. Je fais d’ailleurs le parallèle entre le sport et l’entreprise en poussant les individus à réussir ensemble au plus haut niveau. Les individus ne sont pas au service d’un projet unilatéral mais l’entreprise est au service de ses collaborateurs pour les aider à grandir. C’est un juste équilibre à trouver entre les individus et le collectif.
Est-ce que ton expérience du haut niveau t’aide à impulser une vision du faire ensemble dans l’entreprise ?
Je dirais que oui. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir de très bons résultats, notamment dans les sports collectifs, et c’est ce qui contribue à véhiculer une image positive du sport. Dans les années 1990, je pense que nous avons été des précurseurs, et que nous avons montré comment il était possible de manager la haute performance pour amener le collectif au plus haut niveau ! C’est ce que je viens partager dans mes coachings aujourd’hui.
De nombreux sportifs de haut niveau se dirigent vers le métier de conférencier après leur carrière d’athlète, pourquoi ce besoin selon toi ?
Lorsque l’on est sportif, on porte un message. Je pense que chaque sportif a ce besoin d’être vu, pour quelque chose qui a du sens. Que l’on veuille partager des valeurs, des convictions ou une expérience, on cherche à être vu pour autre chose que pour soi. Mes résultats en tant qu’athlète donnent donc du poids à mes mots et à mon message lors de conférences en entreprise.
Aujourd’hui, un de tes fils, Joachim, prend le chemin du sport de haut niveau en tant que rugbyman, comment le vois-tu ?
En fait, j’ai essayé de faire différemment de mon père avec tous mes enfants et je les encourage tous dans leur passion et dans la réalisation d’eux-mêmes, sans les bloquer. Les parents sont là pour donner un appui. Je leur ai toujours dit : « Le monde est à vous, trouvez ce qui vous éclate et faites-le ! ».
Aujourd’hui, bien sûr, je suis fier de voir Joachim jouer au rugby à haut niveau, mais mon plaisir est de voir chacun de mes fils se réaliser dans son domaine.
Penses-tu que ton expérience du haut niveau ait permis à ton fils de mieux appréhender le haut niveau à son tour ?
Mon expérience m’a forcément façonné, mais, même si je n’avais pas eu ce parcours, j’aurais eu à cœur de voir mes enfants se réaliser individuellement et aller vers leurs rêves. Peut-être que ma carrière a pu être un atout pour Joachim, le poussant à se dépasser pour sa discipline pour essayer de faire mieux que son père ! Mais atteindre un résultat n’est pas la seule façon de se réaliser. Si son équipe est championne olympique, tant mieux, mais ce n’est pas cette médaille qui le rendra heureux. La médaille est visible mais ce qui rend heureux est ailleurs.
Pour finir, quel est ton plus beau souvenir de conférencier ?
Je n’ai pas réellement de souvenir marquant. Néanmoins, tous les remerciements des personnes que j'ai pu rencontrer lors des conférences me font extrêmement chaud au cœur.
Ce que l’on retiendra de cet échange parlant avec Jean-Charles Trouabal, c’est avant tout une humilité poignante et une volonté forte de partager. L’émotion, qu’elle soit passée ou présente, marque l’ancien champion d’athlétisme à chacune des étapes de sa vie, et habite ses mots jusque dans ses conférences en entreprise.